Plongée en eaux troubles

Par Alex DeSources • Le 15 septembre 2021


Chroniques de Suzette, sa majesté Dame Migraine

6e mois…

Lundi 9 h

J’entame mon sixième mois. Je ne parle pas de grossesse ici! Je suis trop vieille et pas hétéro… Non, j’entame mon sixième mois de personne officiellement atteinte de migraine chronique! Quel événement triste, me direz-vous!? Oui, d’un certain côté, c’est sûr. Mais à bien y regarder, je peux mettre un nom sur quelque chose qui n’allait pas chez moi. Enfin, sur cette partie-là (😉🤣)… En fait, c’est comme une peine d’amour, une séparation inévitable, je peux changer mon attitude, pas l’événement. J’ai le choix de m’accrocher aux amarres d’un port et me disloquer les épaules ou de lâcher prise et partir vers le large avec le bateau.

Je me trouve particulièrement bonne avec cette philosophie. Elle est efficace et je la pratique depuis longtemps. Mais je vais être très honnête avec vous : parfois, c’est trop difficile et comme chacun d’entre nous, je craque…

Jeudi 9 h

Je suis au chalet d’une amie. C’est beau. Voilà 3 ans que je ne m’étais pas baignée. La dernière fois, c’était aux Îles de la Madeleine et près de Prévost, je crois, en 2018. C’était avant l’annonce du cancer et mes tattoos. Pour faire simple, c’est leur première baignade. J’ai adoré me baigner avec eux… et eux avec moi. 🤷🏻 J’ai gardé mon côté enfantin, ça m’aide à rire et sourire même quand la situation pourrait paraître insoutenable. Ensemble, mes tattoos et mes amis, nous avons regardé les étoiles filantes… Une soirée de pur bonheur. Merci J. et W.!

Vendredi 13 h

Autant hier j’étais positive, autant aujourd’hui j’ai un petit down, une belle petite baisse de moral. Je suis fatiguée, très fatiguée. Mon corps est endolori. La route d’hier, la soirée et la chaleur… J’aurais envie de pleurer une bonne fois. Mon amie le voit et me prend dans ses bras. Ça fait du bien, une épaule pour pleurer. Mais je ne peux pas laisser aller ce flot de chagrin qui m’assaille parfois face à l’inéluctabilité de ma maladie. Mon amie J. est un amour de personne. Elle ne connaît pas particulièrement la migraine, mais elle comprend que j’ai mal et que je ne suis plus moi-même très souvent, trop souvent. Alors, ensemble, nous profitons de ces moments où je reviens telle qu’en moi-même je fus… Elle m’a connue avant, avant le cancer, la chimiothérapie et la migraine chronique. Et dans ces moments chéris, on rit beaucoup…

Je suis donc au chalet et je dors quand je veux. J’ai la chambre la moins chaude, proche de la cuisine et de la salle de bain. C’est plus facile. Les escaliers sont abrupts et mon instabilité à la marche est aggravée avec la chaleur. Merci J.!

Tes filles arrivent ce soir, je ne les ai pas vues depuis un an… J’ai hâte, mais je dois essayer de rester zen… sinon, demain… Suzette va être en colère! (Dans un prochain blogue, je parlerai des émotions et de Suzette.) Déjà que le trajet, la baignade, parler…

Les filles sont arrivées. Quel bonheur de les voir! Un orage nous offre un feu d’artifice improvisé… Grandeur nature… J’alterne les filtres FL-41 et mes solaires. Nous jouons au skip bow!! C’est amusant. J’ai ri de bon cœur! Retourner un peu dans la vie normale, c’est bon. Mon cerveau ne suit pas, car je fatigue vite, ou l’inverse, je ne sais pas. C’est la première fois que j’y joue… Je ne parviens pas à retenir les règles! On rit!!!  Je suis fatiguée, tellement fatiguée, mais heureuse, tellement heureuse! Je n’admirerai pas les Perséides ce soir. Ce n’est pas grave. Je suis devant le plus beau tableau qui soit… La joie de vivre…

Samedi « entre deux heures »

C’est le matin. Tout le monde dort. J’enfile un maillot de bain. Je regarde le lac. Je le caresse de mes yeux, puis de mes jambes et de mes mains. Je plonge en lui. Je suis seule. Je le vis et je revis. Mes sens sont exacerbés. Le silence du clapotis de ma brasse… Les larmes coulent sur mes joues. J’arbore un sourire immense, un infini fendant la largeur de mon visage. La vie qui m’éclaire. La vie me choisit encore. Je choisis la vie encore et toujours…

11 h

Je quitte le chalet avec l’aide de mon cocktail de crise. Les paysages sont magnifiques. Je passe sur le pont de l’Île aux Tourtes. J’aimerais pouvoir arrêter le temps… Je suis hors du temps… Je voudrais dessiner, puis peindre cette vue. Que dis-je, ces vues en une…  Lumière argentée, scintillement voilé de soleil… Le bleu devient blanc, le blanc gris… un miroir de l’univers…

15 h

Retour à ma normale : Île de Montréal. Je suis au bord de moi-même. Comme un zombi rempli de la beauté de l’amitié, de la nature et de l’eau. Je m’écroule sur mon lit et m’endors jusqu’au soir. Dans mon pilulier, une autre réalité se présente à moi : essai d’une troisième molécule dans un but prophylactique. L’Inderal : plongée en eaux troubles. Toute la beauté des derniers jours me convainc d’y aller… Nous sommes samedi soir…

Jeudi 9 h

Je me décide à lire la liste des effets secondaires de ce propranolol. Je procède toujours comme ça. Ça m’évite de me demander si j’imagine que j’aie ou si j’ai vraiment… Avec mes traitements précédents, j’ai pris des habitudes. Quand je me pose des questions sur un médicament, j’appelle mon pharmacien après lecture de la « notice ». Dans mon dossier, ils ont mon pédigrée… Je décris. Bon, j’ai pas mal 8/10 à la liste des effets secondaires… Je dors depuis samedi. Seulement quelque 3 à 4 h d’éveil somnolent par jour… et les autres réjouissances… pression vraiment trop basse… Le pharmacien me recommande d’arrêter pendant quelques jours et de réessayer pour vérifier si c’est vraiment le médicament. Ça pourrait effectivement être autre chose. Une bactérie, un virus, la fatigue… OK, ça marche, on fait comme ça! Bon courage! Oui merci, il m’en faut!

Vendredi 19 h

Je sors enfin d’une descente vers les tréfonds de la migraine. J’ai l’intuition que l’Inderal ne fonctionne pas bien sur moi… pression à 96/54… Je profite d’une pause et d’un retour à ma vitesse de croisière de migraineuse pour écrire ceci. Seule la poésie me permet d’exprimer ce sentiment de doute face à mon courage devant l’adversité, devant ma condition… Seule la poésie me donne la force de remonter à la lumière lorsque les mots égrainés ont vidé et transformé ma douleur en gratitude… À bientôt!

Désolée Suzette
Quelques heures
Rendre les armes
Désespoir
Quelques jours
Avoir si mal
Fatiguée
Ours polaire
Chercher sa glace
Vie infirmée
Demander grâce
Un mot
Une feuille
L’espoir du silence
Faire la paix
Et renoncer
À la noirceur


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2 Commentaires
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Louise Breault
Louise Breault
il y a 2 années

Merci Suzette pour ton beau témoignage plein de poésie. J’avais l’impression d’être avec toi dans le lac avec des larmes dans les yeux

Alex
Alex
il y a 2 années
En réponse à  Louise Breault

L’eau des lacs fait tellement de bien… Merci Louise! 🥰