Introspection

Par Maryse Loranger • Le 21 octobre 2022


Il y a une semaine environ, je me suis donné un exercice à faire pour tester ma capacité à ressortir des réflexions spontanées pendant mon jogging matinal. Une sorte d’introspection en action. C’est aussi un test à savoir si je peux déjouer mon propre cerveau et lui envoyer une stimulation différente au niveau du cortex et exercer ainsi une certaine prévention à une crise de migraine. À la manière de Glenn Gould, ce canadien au talent incomparable, pianiste, compositeur, écrivain et j’en passe, qui était habilité à jouer les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach tout en parlant à sa mère au téléphone, j’ai activé ma matière grise de concert avec ma capacité cardiovasculaire pour brasser la cage des canaux de communication entre la réception des messages, l’analyse des informations et l’élaboration des réponses. 

À la façon d’une étudiante qui fait une recherche scientifique pour en écrire un mémoire de maîtrise, j’ai voulu tester dans le meilleur laboratoire qui soit : moi-même en personne! Ma prémisse est que de laisser aller les idées spontanément en les nommant à haute voix peut permettre de ventiler et ainsi d’évacuer, à la sueur de son corps, des images et des pensées désordonnées défilant dans l’ordre choisi par les branches et les racines du cerveau.  

Voici des extraits de 30 minutes de jogging de moi parlant à mon téléphone cellulaire au crépuscule, moment de la journée qui n’apporte que des promesses et de l’espoir d’une soirée sans déception et sans douleur. 

Minute 1re

Alors voilà, je pars pour ma course, tel un Rocky Balboa en 2006 avec la tuque noire sur la tête, le foulard dans le cou et une foulée constante et assurée, alors que le soleil se couche sur le verger. Je dépense l’énergie que j’ai accumulée dans ma journée à la manière d’un enfant qui ramasse ses billes pour en faire une collection dans le but de les partager ou de les échanger. Cette énergie qui découle de nos quelque 60 000 pensées qui naissent et se dissolvent dans notre cerveau chaque jour. En les passant sous la loupe, on peut modifier notre dialogue par l’observation de nos pensées et ainsi, exercer une influence de leurs effets sur notre corps.

Minute 2e

La lumière crépusculaire change du jaune au bleu puis se dégrade du bleu au rose. De la magie naturelle. Les tournesols plantés en grappe au verger commencent à se tourner la tête vers le sol, résilients du court moment qu’ils auront été dressés tête première vers leur source de lumière. Le tapis de racines absorbe mes pas et applique la 3e loi de Newton en me renvoyant en écho la même force que je leur applique. L’odeur des pommes qui m’entourent m’enivre de leur délicieux parfum. Les échelles décorent le verger ici et là rappelant l’occupation de cet endroit par les familles et les groupes scolaires. Chaque pommier est unique, comme chaque personne est unique. Quand on vit avec la migraine, on ne se sent pas unique, on se sent à part, isolé et invisible. Pendant que je cours, lorsque je parle et quand j’écris, j’apparais au monde, bien vivante et valide avec ma part d’ombre et ma part de lumière. Un gramme de lumière fait contrepoids à plusieurs kilos d’ombre.

Minute 3e

Lorsque nous avons le courage de parler de notre vie adaptée avec la migraine, on souhaiterait des réponses comme « n’importe quand tu as besoin, appelle-moi », « je suis là si tu as besoin d’un ami pour parler », « je comprends, dis-moi comment je peux t’aider ». Mais ce que je comprends surtout, c’est que pour certaines personnes, le sujet crée un malaise, une espèce de mal à l’aise qui s’alourdit dans le temps avec une glu de préjugés comme de la gomme de pin impossible à décoller de ses doigts. Le trio infernal, telle la Sainte Trinité, se pointe avec comme sentiments, la honte, la culpabilité et la gêne de vivre avec une maladie que l’on n’a pas demandée. Nul ne souhaite vivre avec une maladie neurologique invalidante. Nul ne sait ce que c’est sauf celles et ceux qui vivent avec, tel ce vieux couple dont la vie évite, comme l’eau d’un torrent qui contourne ses grosses pierres placées au beau milieu. Quel courage que de se résilier à vivre avec la douleur et de répondre au monde qui nous entoure avec grâce et respect de soi.

Minute 4e

Aujourd’hui, je mets mon attention sur mes pensées afin de vous les livrer et de me délivrer le corps de mes réflexions. Ce que j’ai appris avec les années de recherche sur moi-même, c’est que je suis la seule qui peut prendre en charge cette maladie, cette bête qui m’accompagne depuis l’enfance. Cela ne veut pas dire de lui donner une existence, ou pire, de la nier. Cela ne veut pas dire non plus de la soigner d’une façon qui a réponse à tout. Cela veut dire de la regarder en face, non pas comme une maladie, mais comme une alliée qui marche dans la vie avec moi. Enfin, la migraine est une émotion qui ne demande qu’à être exprimée. La migraine me permet de comprendre l’intelligence du lien que je noue avec la vie et d’y apporter le changement nécessaire en passant par l’amour, la compassion et la douceur envers moi-même.

En conclusion

Mon exercice se poursuit ainsi pour 26 minutes supplémentaires d’introspection. J’ai choisi les quatre premières minutes en espérant que ces quelques réflexions peuvent apporter une part de lumière sur vos propres pensées. De mon côté, je pratique la course, le mouvement et l’écriture pour délivrer mon corps, mon cœur et mon âme des pensées qui ne me servent plus, mais surtout pour réaliser celles qui me permettent d’avancer toujours plus loin vers ma propre liberté. 

J’ai fini mon jogging, à la fois énergisée et détendue, ancrée et légère, simplement confiante d’une promesse qui sera tenue d’une soirée sans déception et sans douleur. 

Avec douceur et lumière,

Maryse 


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