Ressusciter

Par Maryse Loranger • Le 6 octobre 2022


Évasion

Dernièrement, j’ai eu un grand besoin de m’évader d’une vie aussi étouffante et écrasante qu’une céphalée de tension déjà amorcée dans la phase du sommeil profond virant à la crise de migraine en moins de 15 minutes. En fait, je n’ai pas eu à m’en charger, la vie a fait le travail pour moi. Je crois bien que c’est cette même vie qui, se faufilant entre les méandres des pensées encombrantes, des souffrances du passé et des douleurs lancinantes, a enfin trouvé sa sortie triomphale comme les morts trouvent leur ciel. Un peu à la manière du processus de digestion d’un médicament comme le triptan fondant combiné à une injection de DHD (dihydroergotamine), j’ai eu les effets avant-coureurs de haut-le-coeur, de dégoût, d’une fatigue flirtant avec l’accablement sous le poids du surmenage et de la perte de sens d’une vie qui passe à toute vitesse avec comme seules compagnes fidèles et loyales, ma conscience, mes valeurs et mes principes. C’est quand même ça! Mon professeur d’épistémologie serait fier de moi! La philosophie n’a jamais été mon truc jusqu’à ce que je n’aie d’autres choix que de me trouver une philosophie de vie pour passer à travers les éclaboussures de la migraine me bouchant les sinus, m’obstruant la vue avec des formes géométriques au reflet de mon iris et m’envoyant un buzz aigu 24 h/24 h dans mon oreille droite en la totale absence d’une source sonore externe, en continu, par intermittence ou occasionnel. L’évasion est certainement la meilleure option!

Dissimulation

Pendant des années, j’ai mis en place des façons d’être et des mises en action afin de dissimuler les signes de la maladie. Les yeux creusés par la douleur intracrânienne et les nuits de sommeil inutilisées. Mon corps vêtu de mes épaules alourdies par l’épuisement et le découragement. Les réponses en attente non répondues, car les questions lancées dans ma direction ressemblent à des mots pêle-mêle impossibles à décoder…pour le moment. Pouvez-vous répéter la question dans six heures? Douze heures? Une semaine? Cette maladie cachée sous une cape d’invisibilité à la Harry Potter. Cette affection qui ronge insidieusement le corps de l’intérieur jusqu’à en faire exploser les yeux, à en bloquer la circulation des émotions fracassant tout mouvement sur son passage. Les racines du cuir chevelu se transformant en braises ardentes, le cou se raidissant comme si le corps marchait sans répit sur une corde raide. Pourquoi la cacher si elle ne demande qu’à exister et à se manifester? Il est très clair que le sujet de la migraine est plus souvent abordé sous forme de blague grivoise ou simplement méprisante quand son existence n’est pas juste et simplement ignorée. Je les ai tous entendus et je les entends encore ces commentaires déphasés de ma réalité. Apparemment, je devrais trouver ça drôle comme on trouve drôles les blagues de nos humoristes sortant de l’école de l’humour. Tout comme l’on ne peut forcer un cœur d’aimer, on ne peut imposer le respect et la compassion envers tous les êtres qui gravitent autour de nous.

Battre le fer alors qu’il est chaud

Une crise d’une durée interminable suivie d’une pause euphorisante. Vite, avant la prochaine attaque, il reste très peu de temps. Peut-être juste le temps d’un respire, d’une demi-journée ou un peu plus avec la chance du débutant. Voici la vie que je menais comme un forgeron qui doit battre le fer pendant qu’il est chaud. Je m’empresserais de tout accomplir pour rattraper le temps perdu entre deux crises de migraine. Pour rejoindre les autres, pour me reprendre en fonction de ce que j’attendais de moi, question d’être à la hauteur de ce que les autres voient de moi. Pendant des années, j’ai vu les autres me dépasser et réussir à aller toujours plus loin que moi. Comme ce couple d’aînés aux cheveux blancs qui m’ont dépassé en vélo sur une pente, comme si de rien n’était alors que mes jambes poussaient sur mon pédalier aussi facilement que si j’avançais avec des briques attachées aux cuisses.

Agir quand il y a une fenêtre de possibilité. Est-ce qu’attendre le moment idéal selon nos critères est la solution? La fenêtre peut se refermer assez rapidement et dans sa fermeture, quelques doigts pincés dont on ne pourra même plus s’en mordre. Peut-être faut-il juste vivre et faire confiance en nos mérites? Avons-nous des points accumulés au cours de la vie? Pouvons-nous retirer ces points pour vivre mieux?

Migraine emeritus

Le terme emeritus fait référence à un titre honorifique qui est conservé après la retraite par la personne qui a occupé un poste important.

Trop souvent, je m’identifie à la migraine ou à la céphalée. Ma vie entière est teintée par la gestion méticuleuse des apparitions de migraine que ce soit par mon style de vie, les rapports sociaux, mes choix d’activités, mais plus encore mes peurs, mes insécurités et mes limites. En tout cas, vous savez que je parle de moi en pensant à vous. Peut-être vous sentez-vous interpellé·es?

J’ai donc décidé de faire tomber le masque. Jean qui rit et Jean qui pleure peuvent maintenant quitter ma vie. Je me donne cette chance de vivre ce que j’ai à vivre sans peur d’être jugée. Voici mes affirmations du moment:

  • Je me donne la permission de vivre ma spontanéité.
  • Je me donne la permission d’être celle que j’ai toujours voulu être.
  • Je me donne la permission de mettre mes limites et de les défendre.
  • Je me donne la permission d’exprimer au grand jour ce que je suis et ce que je vis.
  • Je me donne la permission de vivre mes rêves au rythme qui est le mien.

Je ne suis plus Maryse qui a tout adapté pour adopter un statut de gestionnaire de la migraine. Je suis celle qui est en route pour beaucoup plus grand et plus loin vers ce monde imaginaire: Migraine Emeritus. Un monde rempli de douceur et de compréhension. Un monde qui permet de sortir de l’ombre et de ressusciter en la personne que j’ai toujours voulu être. De toute manière, la vie est trop courte pour ne pas ressusciter un peu avant de s’effacer pour toujours.

Avec douceur,

Maryse

 


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2 Commentaires
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Marie-Claude
il y a 1 année

Très beau texte où je me reconnais en tant que migraineuse chronique.

Maryse Loranger
Maryse Loranger
il y a 1 année
En réponse à  Marie-Claude

Merci Marie-Claude pour tes bons mots. ❣️