Quand mentir devient plus simple

Par Marie-Eve Branconnier • Le 19 octobre 2022


En pleine crise, je me surprends encore trop souvent à mentir à mon entourage. À minimiser mon mal, à dire que ça va ou que j’ai déjà vécu pire, que mes médicaments fonctionnent bien aujourd’hui, que ce mois-ci en est un bon, même si c’est le pire des mois. C’est comme un instinct de survie qui prend possession de nos paroles, on ne veut pas se faire juger, on ne veut pas être un fardeau pour personne. Et qui veut sentir le regard de la pitié dans son dos? Surtout pas quelqu’un qui combat la douleur chronique tous les jours.

Le plus éprouvant est lorsque j’omets de dire la vérité. Quand je choisis de ne pas mentionner que je suis en crise de migraine. Étonnamment, ça m’arrive surtout quand le sujet de la migraine s’insère dans la conversation. On pourrait croire que c’est la porte ouverte la plus accueillante pour affirmer être en crise actuellement, mais pour moi c’est plutôt un mécanisme inverse qui se produit. Je vais parler de la migraine, faire mon activiste de cette maladie neurologique, utiliser l’occasion pour éduquer mon entourage sur mon fléau, mais je vais laisser de côté le fait qu’aujourd’hui fut un jour de crise. 

Deux choses se produisent fréquemment quand éclot une conversation sur la migraine.

Conversation typique #1

Les personnes qui ont des migraines ou de très forts maux de tête occasionnellement vont étaler leurs symptômes et vont dire comment c’est difficile, à quel point elles ne peuvent pas sortir du lit, combien ça doit être dur de vivre avec ça aussi souvent que moi. Elles vont me demander comment je fais pour travailler. Elles vont me dire que chaque fois que ça leur arrive, elles doivent s’enfermer pendant des heures dans le noir sans aucune distraction et qu’elles sont incapables de faire quoique ce soit cette journée-là.

Et moi, je suis là, avec elles, en jour de migraine, capable. 

Et si je leur dis que je souffre aujourd’hui, vont-elles penser que j’exagère ma condition? Vont-elles me juger, penser que ce n’est pas si pire que ça, alors, vivre avec la migraine chronique? Vont-elles se  comparer à moi? Vont-elles penser que leurs maux de tête sont bien plus intenses que les miens? Vont-elles tenir pour acquis que je suis toujours capable de tout faire en vivant avec la migraine? Vont-elles s’offusquer si la prochaine fois j’annule ma sortie à cause d’une attaque? Vont-elles me croire ou penser que j’utilise ma maladie comme excuse? 

Conversation typique #2

Les personnes qui connaissent quelqu’un qui vit avec  la migraine ou des maux de tête récurrents vont parler de ce qu’ils savent de la condition de cette personne. Elles vont donner des trucs et astuces qui auraient sensiblement fonctionné pour leur pair. Elles vont parler de ce qui se passe chez cette personne lorsqu’elle a mal (l’infime portion qu’on leur a dite) et vont se proclamer expertes de la migraine. On l’a tous et toutes déjà entendu : « Ah ouais, je connais ça, ma cousine fait des crises de migraine… sais-tu ce qui l’a vraiment aidée? Le jeûne intermittent! ». De toute façon, c’est facile pour sa cousine de jeûner parce que la migraine, ça vient toujours avec des nausées…

Et moi, je suis là, avec elles, en jour de migraine, en mangeant des frites, pas de nausées. 

Et si je leur dis que je souffre aujourd’hui, ces personnes vont-elles penser que j’exagère ma condition? Vont-elles penser que c’est les autres qui exagèrent? Vont-elles me juger, nous juger? Vont-elles nous comparer? Me dire que je ne devrais pas manger de frites. Vont-elles penser que je ne fais pas assez d’efforts pour m’aider? Vont-elles penser que j’essaie d’attirer l’attention, que j’implore la pitié, que je mens? Vais-je devoir me justifier?

Finalement, dans les deux situations, c’est bien plus simple de ne rien dire. Elles n’ont pas décelé la migraine en moi, alors je ne leur dirai pas. 

Le problème en choisissant la simplicité, c’est qu’on est pris avec le mensonge et mentir, ça engraisse la culpabilité. On se sent mal de s’être senti·e obligé·e de mentir, on se sent mal de se cacher. Et on a l’impression qu’on doit faire encore plus d’efforts pour que la migraine ne transparaisse pas, il ne faut pas qu’elle dévoile notre jeu. On se met en position d’équilibre précaire. L’équilibre précaire, l’histoire de notre vie, hein!

Je l’ai mentionné d’entrée de jeu, je me surprends encore trop souvent à cacher mes crises, mais j’essaie de changer. Je prends des risques et quand je me sens plus solide, je le dis que je suis en migraine. Parfois, c’est un fiasco, mais d’autres fois, c’est doux, libérateur et enveloppant. Nous sommes les moteurs de changement sur la stigmatisation de la migraine, il ne faut pas négliger ce pouvoir. Et même si la discussion ne se passe parfois pas très bien, on sème des graines, on met la lumière sur les différences de cette pathologie, sur la complexité de cette maladie.


J’essaie d’affirmer ma vérité, mes paroles, pour qu’un jour la conversation change.

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