Retirer son masque

Par Marie-Eve Branconnier • Le 23 mars 2021


Tant qu’à être d’actualité, j’ai envie de parler du masque. Mais pas du masque qu’on porte et qui ajoute son lot d’inquiétudes à cause de la pandémie. Non, je parle plutôt du masque de légèreté, qu’on porte avec lourdeur en société, en tant que personne souffrant de la douleur chronique.

J’ai déjà effleuré le sujet dans mes articles précédents : le combat insaisissable entre la façade du « je vais bien » et la vérité du « je vais mal ». On ne peut certainement pas nous en vouloir d’avoir ce réflexe insidieusement bien ancré comme mécanisme de défense quand les coutumes du bien paraître en société sont si bien enracinées. On nous manifeste que la question « comment vas-tu? » n’est qu’un signe de politesse et que le décorum veut qu’à cette question, une réponse telle que « ça va et toi? » avec un sourire soit de mise. Montrer nos faiblesses est depuis si longtemps perçu comme étant quelque chose de laid. On s’obstine à se montrer sous notre meilleur jour, à cacher ce qui déplait, quitte à mentir pour avancer, plaire, ne pas déranger, etc., etc., etc.

Je me demande, pourquoi faut-il que ce soit des faiblesses? Pourquoi faut-il catégoriser nos couleurs, d’un côté les qualités, de l’autre, les défauts. Pourquoi faut-il des plus et des moins? Et dites-moi, qui a décidé et déterminé ce qu’était une qualité et ce qu’était un défaut, ce qu’était une force et ce qu’était une faiblesse? Qui décide qu’un vrai homme, ça ne pleure pas? Qui décide qu’une vraie femme a des enfants? Personne, sinon un amalgame d’histoire qui teinte nos perceptions et nos réactions. Je m’égare, mais pas tant que ça.

Je rêve d’un monde où ce que mon prochain s’attendra à recevoir de moi, c’est moi dans toute ma splendeur et ma laideur, sans filtre, sans masque. Je rêve d’un monde où je me sentirai à l’aise de dire à qui que ce soit « ce n’est pas une bonne journée aujourd’hui » à sa question « comment vas-tu? ». J’ai envie de déconstruire mes réflexes néfastes qui engraissent ma culpabilité mal placée de vivre avec la migraine. Je n’ai plus envie de répondre « ça va, ce n’est pas si pire » à mon amie qui sait que je suis en crise qui me dit « ha, pauvre toi, tu as l’air de souffrir ». Comme si la culpabilité de solliciter son empathie était plus forte que mon besoin de bien-être personnel.

Avoir une mauvaise journée n’est pas une faiblesse. Avoir mal n’est pas une faiblesse. Se sentir fatigué, triste, découragé n’est pas une faiblesse. Ce n’est qu’un état d’être, ni plus ni moins. Un humain, c’est un tout composé d’atomes et de chocs nerveux causant actions et décisions. Ma condition de migraineuse est très fort probablement liée à une inscription quelque part dans mes gènes me prédisposant à cet état malheureux. Allons-nous dire d’un trisomique qu’il est faible puisqu’il est né avec un chromosome de trop? Non. Devons-nous me catégoriser comme faible lorsque j’ai une crise, étant incapable de faire quelque activité quotidienne banale? Je ne pense pas.

Pour arriver à ce monde dont je rêve tant, le premier pas est l’acceptation de qui nous sommes. L’acceptation des atomes et des chocs nerveux nous composant, aussi simple que ça. L’ADN nous définissant n’est rien d’autre qu’un coup de dés, une série de chances et de malchances. La condition de migraineux n’est alors qu’une malchance parmi tant d’autres. Elle fait partie de nous, mais n’est pas notre tout et nous devons accepter l’un et l’autre. Il faut combattre la peur de nous montrer sans masque. Arrêter de voir des faiblesses, mais plutôt des états réactifs dus à cette loterie qu’est la vie. S’accepter, c’est ne pas s’excuser de ce que nous sommes. De même, n’est-ce pas ridicule de s’excuser pour quelque chose qui est le fruit du hasard?

Je ne suis pas fataliste, ne vous méprenez pas, je n’ai aucune animosité envers l’envie de s’améliorer. Au contraire, en tant qu’humain qui avance dans la vie, je considère qu’avec le temps vient un plus grand bagage d’apprentissage et, de ce fait, des améliorations sur notre personne. Appelez ça la sagesse si vous voulez. Ce qui me désole est plutôt la quête incessante vers l’atteinte de l’homme parfait. Comme s’il pouvait exister. L’homme parfait dépend et dépendra toujours de qui le regarde. Alors, ça n’existe pas des « qualités » ni des « défauts ». Ou plutôt, chaque qualité a son défaut ascendant et l’un ne peut exister sans l’autre. Et c’est cette quête futile qui pousse la société à suivre un guide d’instructions vers un modèle abstrait.

La conclusion de tout ça? Il n’y a pas de modèle à suivre autre que nous-mêmes. Retirons notre masque, respirons, nous avons le droit d’être qui nous sommes.

Marie-Eve


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1 Commentaire
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Anne Marie Renaud-Bourgeois
Anne Marie Renaud-Bourgeois
il y a 3 années

Merci pour ce trės beau texte Marie-Eve.