Accroche-toi.

Par Marie-Eve Branconnier • Le 15 septembre 2021


Avertissement : Ce texte traite de suicide.


Jamais dans ma vie je ne pensais avoir à faire face au suicide. Le dicton le dit bien : « ça n’arrive qu’aux autres ». L’autre dicton lui a raison : « le suicide n’a pas de visage ».

Non, je ne parle pas de moi. Même s’il m’arrive de vivre des moments difficiles remplis de douleur, l’idée du suicide ne m’a jamais effleuré l’esprit, jamais. Je ne peux malheureusement en dire autant de mon tout premier ami, mon ami d’enfance, premier enfant des meilleurs amis de mes parents. C’est cet été que le suicide l’a tué. Ce jeune homme dans la trentaine, lui qui m’apparaissait plein de vie, lui qui fait partie de tous mes souvenirs d’enfance les plus forts.

Je me souviendrai toujours du moment précis où j’ai appris la tragédie, et surtout de comment je me suis sentie en l’apprenant. Il faut savoir que mon cher ami et moi n’étions plus proches. La vie fait son œuvre; les adultes, ça déménage et avec ça les chemins s’éloignent de plus en plus. On peut dire que nous étions devenus plus des connaissances que des amis, mais les souvenirs, ça ne disparait pas, ça reste. Et même si l’amitié s’étiole, les moments eux sont inscrits à l’encre indélébile dans le grand livre de la vie. Il aura marqué ma vie comme, j’imagine, j’ai su marquer la sienne.

C’est donc en ce beau jour d’été de canicule que mon père m’annonce l’irréparable. Une annonce qui m’a secouée tel un choc électrique, où tout s’est arrêté. Tout ce qui m’entourait à ce moment n’avait plus aucune importance, ma fierté de fille qui est dans un lieu public qui prend le bord et mes yeux qui s’embuent instinctivement. Je passe par une panoplie d’émotions, l’incompréhension, le déni, la détresse, la colère, la culpabilité, la tristesse en l’espace de quelques secondes. Mon cerveau ne pouvait assimiler l’information. Ce n’est pas vrai, il est trop jeune, je ne savais même pas qu’il n’allait pas bien, il était là, devant moi, souriant et joueur la dernière fois, il allait bien, il allait bien… Je ne le verrai plus jamais. Comment revenir en arrière?

Le sentiment de colère face au suicide est étrange, car à qui veux-tu bien en vouloir? Je ne peux pas lui en vouloir, je sais que ce n’est pas sa faute. Le suicide ce n’est pas un choix, c’est plutôt lorsqu’on croit être en absence de choix. Lorsqu’on croit qu’il n’y a déjà plus de lendemain. C’est être incapable de ressentir les bons moments passés ni de visualiser les bons moments à venir. Ce n’est pas de vouloir mourir, mais c’est préférer vivre à travers les autres, car vivre à travers soi est trop difficile. Je ne crois pas qu’il ait souhaité fermer à clé la porte sur son avenir, je crois qu’il n’avait simplement plus la force de l’ouvrir. Du moins, c’est avec cette pensée que je fais la paix avec ce qui est arrivé. Le suicide, c’est trop compliqué pour se laisser submerger par la colère. Je vois la mort de mon cher ami comme s’il était mort d’un cancer, car en réalité c’est ce qui lui est arrivé. Il ne s’est pas enlevé la vie, c’est le suicide qui la lui a enlevée. Un cancer qui n’aura pas été détecté et diagnostiqué, et pour lequel les traitements sont flous et tabous.

Une autre foutue maladie invisible, difficile à traiter, un fléau qui suce la vie par l’intérieur et en silence petit à petit. Traiter l’esprit est tellement plus complexe que traiter le corps. Si seulement il avait pu voir les beaux chemins qui l’attendaient après ce gouffre, si seulement il avait pu apercevoir toute la peine que cause son départ à tous ces gens à ses obsèques, je crois qu’il se serait accroché.

Il est trop tard pour lui, mais pour plein d’autres, il ne l’est pas. J’ai écrit plus haut que je n’ai jamais songé au suicide et j’espère ne jamais y songer. Je parle d’espoir et non de certitude, car il est impossible de prédire un mal de vivre. On ne décide pas de bien ou de mal aller, comme on ne décide pas d’avoir une crise de migraine. Malheureusement, le risque de suicide est nettement plus élevé chez les souffrants de la migraine. Alors à tous ceux qui vivent avec ces pensées noires, j’aimerais vous dire ce que je n’ai pas pu lui dire.

Ce que tu vis est normal et passager. C’est un virus, tu peux le combattre, il te faut simplement une autre gamme d’anticorps. Tu n’as pas à avoir honte de ce que tu ressens, il en existe des choix, parles-en, je t’en prie parles-en à n’en avoir plus de salive! Si tu n’as pas la force de continuer, repose-toi sur tes proches, ils ne demandent que ça, je te promets. Sans quoi, ce sont eux que tu laisseras dans le regret. Et si tu as l’impression que tu n’as personne, crois-moi il y a toujours quelqu’un à qui parler, quelqu’un que tu as touché d’une manière ou d’une autre, même si aujourd’hui tu considères cette personne comme une simple connaissance.

Accroche-toi, j’arrive te tendre la main.

Marie-Eve


Ressources de prévention du suicide

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1 Commentaire
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sage beauchamp
sage beauchamp
il y a 2 années

merci beaucoup pour ce texte 🙂