Douleur

Par Maryse Loranger • Le 10 mars 2023


Douleur comme Deux-Montagnes est une entité dans une entité territoriale. Inconnue de la majorité du monde. Cachée, mais pas au-dessus, plutôt en dessous, hors de vue. Douleur demeure hors des esprits à moins que nous attirions l’attention sur son existence de la même façon que l’on découvrirait à nouveau le bon goût de thé des bois des menthes roses à grand-maman !  

Bonne et heureuse année aux citoyens de Douleur!

C’est un peu tard pour souhaiter la Bonne Année? C’est juste que nous, les malades chroniques, évoluons dans un fuseau horaire différent de celui qui existe. Personnellement, je viens tout juste de me remettre de Noël et juste de penser à Pâques…

Pour certaines sociétés qui sont bien loin de la nôtre, le mot « maintenant » signifie « plus tard ». Pour les personnes vivant avec la migraine ou la céphalée chronique, le temps devient encore plus distendu par nécessité. Une abstraction.

Dans mon cas, l’heure du coucher est « plus tard », et plus encore. Je guette la fenêtre où ma douleur s’estompe afin de pouvoir poser ma tête sur l’oreiller.

Pendant très longtemps, et ce pour toutes mes activités, je trouvais difficile de parler en termes de demain ou de semaine prochaine. Tout était en termes du mois prochain. Je n’osais pas dire « on se voit en fin de semaine », mais plutôt « on se voit cet été ». Je planifiais ma vie en saison. « Peut-être la prochaine fois » devenait « Peut-être l’année prochaine ».

Il y a quelques années, lors d’un déclin dramatique de ma santé, j’ai eu un moment où je réalisais quelque chose de très important. Alors que je me débattais avec une terrifiante glissade vers le bas pour être principalement alitée due à la migraine chronique, en plus d’être précipitée par la ménopause et une dépression pour mélanger le tout, j’ai réalisé que personne autour de moi, ni dans ma famille ni dans la société en général, n’allait prendre au sérieux mes limites et mes besoins jusqu’à ce que je prenne le tout en main moi-même.

En ce mois de janvier, mon mantra du Nouvel An ou mon affirmation était : Prends. Ton. Temps.

La décision de laisser tomber l’idée de tout accomplir en vitesse a changé ma vie. J’ai arrêté d’essayer de me conformer aux attentes de la majorité. J’ai commencé à définir les besoins de mon corps. J’ai arrêté de m’excuser de me sentir mal. J’ai commencé à m’allonger pour une sieste en après-midi chaque fois que j’en avais besoin. Je me suis retirée de choses qui ne valaient plus le prix de dépenser mes énergies déjà très précieuses vues leurs raretés et j’ai donné la priorité à me nourrir le corps et l’âme. J’ai arrêté de me critiquer d’être en retard ou de ne pas compléter mes activités quotidiennes et j’ai commencé à me féliciter d’avoir réussi à accomplir ce que je réussissais à accomplir.

Personne ne s’attend à ce que les patients en chimio restent calmes et continuent à vivre comme si de rien n’était. Personne ne s’attend à ce que les diabétiques réussissent à bien vivre, sans médicaments. Les personnes vivant avec la migraine et souffrant de grandes baisses d’énergie n’ont peut-être pas accès à des traitements qui atténuent ces affections énergétiques, mais nous pouvons commencer par nous soigner avec la compassion que méritent nos corps en difficulté. Paradoxalement, ralentir est le seul moyen de commencer à progresser. Des petits pas. Un à la fois.

Douleur comme Deux-Montagnes est une entité dans une entité territoriale. Inconnue de la majorité du monde. Cachée, mais pas au-dessus, plutôt en dessous, hors de vue. Douleur demeure hors des esprits à moins que nous attirions l’attention sur son existence.

Chère communauté, il est temps de normaliser le fait d’être malade en public. De sensibiliser le monde au fait que la douleur est une maladie en soi. Aujourd’hui, je veux rendre hommage aux malades chroniques, à tous ceux et celles qui vivent avec la migraine, pour leur pur engagement à survivre. 

À tous ceux.

Salut à tous ceux et celles qui vivent avec la migraine chronique,

À tous les nouveaux et nouvelles membres de notre communauté, surpris·es et confus·es quant à la raison pour laquelle ces symptômes de migraine et céphalée ne disparaissent tout simplement pas.

À tous ceux qui vivent du paternalisme de certains médecins encore ignorants de l’existence de cette maladie neurologique.

À tous ceux qui apprennent à bloquer la douleur corporelle de leur esprit afin de passer à travers la journée.

Je suis avec vous.

À tous ceux qui se traînent pour les enfants, jour après jour.

À tous ceux qui se battent pour terminer leur semaine de travail malgré les symptômes, les exigences et les découragements.

À tous ceux qui ne peuvent plus se tenir debout assez longtemps pour faire leurs courses ou cuisiner eux-mêmes.

Je vous comprends.

Aux jeunes qui regardent les ami·es étudier sans difficulté, commencer un nouveau travail, fonder une famille.

Aux personnes âgées, qui regardent leurs finances, leurs relations, leur identité s’effondrer comme des maisons qui s’écroulent dans un tremblement de terre.

Je vous vois.

À tous ceux qui ont l’impression de ne pouvoir garder la tête hors de l’eau.

À ceux qui font le choix de passer une heure avec un proche en sachant qu’ils en auront pour une semaine à s’en remettre.

À ceux qui sont devenus méfiants pour exprimer leur colère, leur joie ou leur chagrin de peur que l’énergie dépensée pour cette émotion ne les abatte pendant des jours.

Je vous lève mon chapeau.

À tous ceux et celles qui ont cette maladie invisible.

À tous ceux et celles dont la vie est bloquée ou mise sur pause.

A tous les soldats de Douleur, abandonnés dans les tranchées de l’oubli et de l’ignorance.

Sachez que nous sommes tous des guerrier·ères, vivant côte à côte avec nos deuils. Nous sommes peut-être ralentis, sur pause ou même couché·es, mais nous sommes solidaires en esprit. Nous sommes peut-être seuls dans nos chambres, dans nos maisons, dans nos vies, mais nous sommes toujours côte à côte.

Je prends mon temps et je garde espoir.

Prenez votre temps et gardez espoir avec moi.

Maryse

 


À consulter

 



S’abonner
Avisez-moi lors de
guest

0 Commentaires
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires