
Par Dr Liam Durcan.
La migraine : bien plus que des maux de tête
Les maux de tête sont, à juste titre, le symptôme le plus largement reconnu de la migraine, car il en est le plus invalidant. Pourtant, ils ne constituent qu’un symptôme parmi de nombreux autres qui caractérisent la maladie. Les douleurs associées aux maux de tête sont devenues à ce point emblématiques de la migraine qu’il est difficile tant pour les migraineux que pour le grand public de concevoir qu’une aura migraineuse peut se manifester sans maux de tête.
Mise au point : ce que vous devez savoir sur les auras
Entre 15 et 25 % des patients aux prises avec la migraine ont déjà fait l’expérience d’une aura, que l’on peut présenter comme un dysfonctionnement passager du cortex (la partie du cerveau qui en représente la « surface ») et qui peut se manifester juste avant le déclenchement ou au moment de l’apparition des douleurs martelées typiques de la migraine. Le type d’aura dépend de la région du cortex qui est touchée et des fonctions associées à cette région. La plupart des auras sont des auras visuelles et s’étendent sur une période de 15 minutes à une heure. Le phénomène se propage graduellement sur une partie du champ visuel (ce peut être un côté de la vue, souvent la même région pour les deux yeux), et il se manifeste de manière caractéristique. La vue peut se voiler ou devenir floue, se déformer ou être parasitée par des éléments, souvent des lignes brisées avec des effets miroitants ou scintillants. La région touchée peut croître en quelques minutes, comme si l’aura essaimait, avant que celle-ci ne se rétracte lentement. Habituellement, les maux de tête prennent rapidement le relais.
Bon nombre de personnes ont créé des images pour présenter leur expérience d’une aura visuelle. Vous pouvez voir de telles images en cherchant « migraine, aura » dans Google et en consultant les résultats dans la section des images. Si vous avez déjà fait l’expérience d’une aura, peut-être y trouverez-vous quelque chose qui se rapproche de ce que vous avez vécu.
Si la partie du cerveau responsable des sensations est touchée, la personne peut ressentir des picotements. Ici encore, l’apparition de ce symptôme est généralement graduelle. Elle touche souvent la région autour de la bouche, mais implique parfois aussi la main, du même côté. Le phénomène peut également toucher les régions responsables du langage et entraîner des problèmes temporaires de communication ou de compréhension.
Certaines personnes peuvent avoir une aura qui touche toutes ces régions, habituellement dans une séquence qui implique d’abord le cortex visuel, puis les aires sensorielles et enfin les fonctions langagières et motrices. Parfois, lorsqu’aucun signe d’une apparition graduelle n’a été détecté, les auras impliquant les fonctions langagières et motrices peuvent ressembler aux symptômes d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Une étude réalisée auprès de personnes évaluées pour un AVC aigu a révélé que la cause de la consultation était en fait une migraine avec aura chez 1,8 % d’entre elles1.
Alerte au tsunami : qu’est-ce qui déclenche les auras?
En 1941, un psychologue du nom de Karl Lashley a vécu une aura visuelle sans maux de tête et a dessiné le mouvement en zigzag des lignes de son aura sur une feuille à plusieurs moments durant le phénomène, en minutant les variations. Comme il jugeait que l’aura provenait de la région occipitale et qu’il était familiarisé avec l’anatomie du cerveau, il a estimé que la chose responsable de l’aura se déplaçait dans son cerveau à la vitesse de trois millimètres par minute.
En 1943, un chercheur du nom d’Aristides Leão a découvert que certaines régions du cerveau d’un animal anesthésié réagissaient à la stimulation selon un modèle d’excitation inhabituel : des régions du tissu cérébral présentaient des signes d’excitation, puis un phénomène de diminution de l’activité s’étendait progressivement à la manière d’une vague. Ce modèle est maintenant connu sous le nom de « dépression corticale envahissante ». Des expériences ultérieures ont confirmé la vitesse de propagation de trois millimètres par minute, conformément à la description de Lashley2.
Bien qu’aucune preuve définitive n’ait établi un lien de cause à effet entre la dépression corticale envahissante et les auras migraineuses chez l’homme, le phénomène est perçu comme une explication probable des schémas caractéristiques observés dans les auras.
Finalement, qu’est-ce que la migraine acéphalgique?
La migraine acéphalgique (ou littéralement, migraine sans maux de tête) est l’ancien terme qui décrit une aura non suivie des maux de tête qui accompagnent habituellement la migraine. Les neurologues et d’autres cliniciens impliqués auprès de patients qui souffrent de céphalées utilisent le terme suivant : aura type sans céphalée.
L’aura type sans céphalée est moins courante que la migraine avec aura, mais elle n’est pas aussi rare qu’on pourrait le croire.
Dans une étude danoise, sur 163 patients qui souffraient de la migraine avec aura, 62 avaient aussi fait l’expérience d’une aura type sans céphalée et 7 patients souffraient exclusivement d’une aura type sans céphalée3.
Les auras qui survenaient une première fois à un âge plus avancé (après 44 ans, ce qui est tardif pour l’apparition d’un symptôme de la migraine) étaient plus susceptibles de ne pas être accompagnées d’une céphalée4. Cette conclusion est également partagée dans l’étude de Framingham, où 58 % des patients aux prises avec une aura visuelle récurrente ne souffraient pas de céphalées concomitantes5.
Est-ce que d’autres phénomènes peuvent imiter une aura type sans céphalée?
Oui, mais de tels phénomènes sont rares. Les auras se caractérisent par leur apparition graduelle, par un lent « essaimage » et par une altération de certaines fonctions (une aura visuelle peut compter des couleurs, des formes et des éléments lumineux). Les symptômes d’un AVC peuvent être uniquement passagers, mais ils n’apparaissent généralement pas de façon graduelle et entraînent habituellement une perte de certaines fonctions, comme une perte de la vision.
En laboratoire, les traumatismes crâniens, les crises épileptiques et les AVC peuvent tous entraîner des modifications sous forme de dépression corticale envahissante4. Des études font aussi état d’événements apparentés à une aura qui surviennent avec des AVC, des tumeurs ou des malformations vasculaires. Ces événements sont rares, et les patients présentaient d’autres symptômes laissant présager des diagnostics autres que la migraine qui ont été confirmés dans des examens par imagerie. Lorsqu’une aura se présente comme un nouvel événement chez un patient, les cliniciens recourront souvent à des examens par imagerie.
Est-ce qu’une aura type sans céphalée doit être traitée?
Si les autres symptômes migraineux sont bien contrôlés et qu’aucune autre cause n’a été détectée pour les symptômes d’aura, alors l’aura elle-même pourrait ne pas nécessiter de traitement. Comme nous l’avons vu, une personne aux prises avec la migraine peut faire l’expérience d’auras isolées ou suivies de maux de tête. Il peut donc être utile de traiter une aura, moins dans l’optique d’éliminer cette aura que de profiter d’une occasion de traiter en amont les maux de tête de la migraine qui pourraient suivre.
Certaines études ont démontré l’utilité du magnésium ou de l’anticonvulsivant Lamictal dans la prévention des auras qui précèdent la migraine.
Références
- When migraine mimics stroke: A systematic review. Terrin et al. Cephalalgia Volume: 38 issue: 14, page(s): 2068-2078
- Liam Drew A Richer View of Aura, Nature 586, S7-S9 (2020)
- Michael Bjørn Russel, Jes Olesen Brain (1996)119: 2; 355-361
- Martins et al. J Headache Pain (2012) 13:243-253
- Wijman et al. Stroke. 1998;29: 1539-1543
Merci pour cet article!
Jusqu’à présent je croyais que l’aura n’impliquait que la vision. C’est rassurant en quelques sortes de savoir que mes problèmes langagiers font partie de l’aura.
Article très intéressant !!
Est ce que ce genre de migraine sans céphalée augmente le risque de déclencher un AVC ?
J’ai lu plusieurs articles concernant le risque accru d’AVC pour les personnes sujettes aux migraine s avec aura.
Bonjour,
Les personnes qui ont des auras sans céphalée peuvent aussi avoir la migraine avec aura. Dans ce cas, on se basera sur ce diagnostic pour établir le risque d’AVC. (2,27 fois plus élevé avec la migraine avec aura que sans migraine.)
Pour une personne qui aurait uniquement des auras sans céphalée et aucun autre symptôme de migraine, il n’existe pas de statistiques pour établir le risque d’AVC. On pourrait faire preuve de prudence et considérer que le risque d’AVC est légèrement plus élevé, comme pour la migraine en général (avec ou sans aura).
Notez qu’il y a aussi d’autres facteurs à considérer pour établir le risque d’AVC chez quelqu’un, notamment la prise de contraceptifs oraux, le tabagisme et les antécédents familiaux.
Pour en savoir plus sur le lien entre migraine et AVC, vous pouvez lire l’article suivant (au point 4) : https://migrainequebec.org/mythes-etonnants-et-nefastes-a-propos-de-la-migraine/
Bonjour,
Depuis un mois j’ai des aura visuels quotidien qui me semble être déclenché par le changement de luminosité. C’est a dire typiquement le matin et le soir. Le phénomène s’est également produit au cinéma pendant la projection d’un film d’horreur avec des scènes de luminosités très sombres. Une fois dehors tout est redevenu normal. Ce que j’observe également c’est que les scotomes voir phosphene n’ont pas de zone de floutage c’est a dire que je n’ai que des zigzag mais je vois très bien. Aucun mal de tête les épisodes de ces auras durent 20mn le matin approximativement et moins d’une heure le soir. J’ai été chez mon médecin traitant et vu 4 ophtalmo (très forte myopie) tous très rassurant. Pas de diabète, pas d’hypertension, j’ai 34 ans sportif. Je travaille sur écran. 3 des ophtalmo me parlent de migraine ophtalmique et un de déshydratation et traction sur les vitrés de mes yeux. Qu’en pensez-vous ?
Merci pour votre article et la qualité des explications.
Bonjour, malheureusement, il nous est impossible d’émettre un diagnostic. Nous vous invitons à faire confiance à votre professionnel·le de la santé. En cas de doute, consultez-en un autre.
Merci pour votre retour. Je ne m’attends pas a un diagnostic soyez rassuré. Disons plus à des pistes qui pourraient m’aider grâce a vos expériences. Merci d’avoir pris le temps de me répondre.