Migraine et traumatismes en enfance : des liens démontrés

Par Migraine Again • Le 11 octobre 2023


Jaime Sanders

Révision médicale de Jessica Baity, M.D.

Date de révision : 25 mai 2023

C’est un fait maintenant bien établi que le stress, l’anxiété et la dépression peuvent déclencher ou aggraver la migraine. Mais ce que bien des gens ignorent, c’est que les expériences négatives vécues des années auparavant, dans l’enfance et l’adolescence, peuvent également jouer un rôle important dans la maladie.

Les mots blessants, les événements traumatiques et les mauvais traitements logent dans la mémoire subconsciente de nombreuses personnes d’âge adulte, et cette douleur émotionnelle pourrait être la source de symptômes physiques plus nombreux qu’on ne le croyait jusqu’à présent. En effet, des recherches ont démontré un lien manifeste entre les traumatismes survenus en début de vie, comme des sévices ou de la négligence chez l’enfant, et la migraine.

Les traumatismes de l’enfance peuvent affecter votre santé à l’âge adulte

Un rapport publié dans la revue médicale Neurology indique que les expériences négatives durant l’enfance (ENE) augmentent de façon importante la prévalence de la migraine et des céphalées de tension à l’âge adulte. Ce constat repose sur une analyse des données provenant d’une vaste enquête américaine sur la prévalence et la prévention de la migraine (American Migraine Prevalence and Prevention Study 2007) réalisée par Gretchen E. Tietjen, médecin et professeure distinguée émérite de l’université de Toledo, en Ohio, avec une équipe de recherche. Les conclusions de cette analyse confirment la théorie voulant qu’un stress post-traumatique chez l’enfant puisse ressurgir sous forme de douleur physique et mentale à l’âge adulte.

Une analyse plus récente des données d’une cohorte canadienne composées d’enfants de moins d’un an suivi·es jusqu’à l’adolescence a corroboré ces conclusions.

Que sont les ENE?

Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, ou CDC) aux États-Unis définissent les ENE comme des événements traumatiques survenus avant l’âge de 18 ans. Le terme a été créé dans la foulée de l’étude phare sur les ENE menée par les CDC et Kaiser Permanente en 1995-1997. Il s’agit d’une des plus grandes enquêtes sur la corrélation entre les sévices et la négligence vécus dans l’enfance et la santé et le bien-être à un âge ultérieur.

Au nombre des expériences négatives, mentionnons le fait d’être témoin ou victime de violence à la maison ou dans la communauté, d’avoir subi des sévices ou de la négligence ou d’avoir été touché par le suicide ou une tentative de suicide de parents ou de proches.

La définition englobe aussi des expériences susceptibles de miner le sentiment de sécurité et de stabilité de l’enfant, de même que sa capacité à nouer des liens affectifs, comme le fait de grandir dans un foyer où il y a une consommation de substances, des problèmes de santé mentale ou une instabilité découlant d’une séparation ou de l’emprisonnement d’un·e proche.

Les ENE sont liées à des problèmes de santé chroniques, de santé mentale et de dépendance chez les jeunes comme chez les adultes. Elles peuvent en outre avoir des répercussions sur le parcours scolaire, les perspectives d’emploi et la réussite financière.

Près de 61 % des adultes sondé·es aux États-Unis ont indiqué avoir fait l’expérience d’au moins un type d’ENE avant l’âge de 18 ans, et près d’un adulte sur six aurait fait l’expérience d’au moins quatre types d’ENE.

Types d’expériences négatives durant l’enfance

À l’origine, l’étude des CDC menée dans les années 1990 classait les ENE en trois catégories : sévices, problèmes au foyer et négligence.

L’étude menée par Dre Tietjen mise plutôt sur les catégories ci-dessous.

Négligence affective

Cette catégorie décrit un contexte où les besoins affectifs d’un·e enfant ne sont pas comblés. Il ne s’agit généralement pas d’un événement isolé, mais plutôt d’une réalité qui, même sans caractère mémorable, demeure tout de même dommageable. L’enfant ne s’est jamais senti aimé·e, sinon rarement, ou n’a jamais vu les membres de sa famille veiller les uns sur les autres, témoigner d’une certaine proximité ou être une source de réconfort et de soutien. Jamais ou rarement on a fait sentir à l’enfant qu’il ou elle était unique ou particulièrement important·e.

Violence psychologique

Il s’agit ici de harcèlement, de coercition, d’insultes, de menaces, de demandes déraisonnables ou d’efforts faits pour ignorer ou isoler l’enfant. L’enfant a été injurié·e, insulté·e, rabaissé·e ou traité·e de telle sorte qu’il ou elle a développé une peur d’être agressé·e physiquement par un membre de la famille, de la belle-famille ou de la maisonnée.

Violence sexuelle

Cette catégorie englobe tout contact et toute exposition à caractère sexuel imposé à l’enfant et allant à l’encontre de son intérêt supérieur. L’enfant a été l’objet d’un toucher ou d’une caresse sexuelle de la part d’un tiers (adulte, membre de la famille, ami·e ou inconnu·e d’au moins cinq ans son aîné·e) ou a été contraint·e d’avoir une relation sexuelle avec un tiers.

Le lien entre les ENE et la migraine

La grande découverte de l’étude Tietjen a été de mettre en lumière une prévalence significativement plus élevée de la migraine par rapport aux céphalées dites de tension chez les personnes ayant fait état de négligence affective ou encore de violence psychologique ou sexuelle (après rajustement des données démographiques). Entre 17 et 24,5 pour cent des patients migraineux ont signalé avoir eu des expériences négatives durant l’enfance, expériences survenues tant dans des familles dysfonctionnelles que dans des familles nucléaires conventionnelles.

Dans sa présentation au Migraine World Summit de 2020, Dre Tietjen a expliqué que les sévices subis dans l’enfance peuvent entraîner des changements structurels et fonctionnels dans le cerveau. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) présente des contractions ou des rétrécissements dans les parties du cerveau responsables de la réponse au stress.

« C’est un des éléments qui ont été démontrés à la fois chez les personnes migraineuses et chez les personnes qui ont été victimes de violence », disait-elle. « Personne n’a vraiment étudié ces deux populations de près, en comparant par exemple les changements de structure observés par IRM chez les personnes migraineuses qui ont subi des violences et chez celles qui n’en ont pas subi. À mon avis, une telle étude serait très éclairante. »

Tietjen a expliqué qu’un stress en bas âge entraînait des altérations à long terme dans le système nerveux sympathique et dans l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, qui sont les principaux canaux de réponse au stress impliqués dans la migraine.

Plusieurs études ont démontré un lien entre des expériences négatives durant l’enfance et la progression de la migraine épisodique vers la migraine chronique, corroborant au passage le lien avec la chronicité des céphalées.

Une étude a également été menée sur les données ventilées selon le sexe de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes : santé mentale, 2012. Les auteur·es de l’étude ont relevé que les trois types d’adversité (violence physique, violence sexuelle et climat de violence parentale) présentent une association marquée avec la migraine chez les hommes comme chez les femmes. De même, plus les expériences d’adversité étaient nombreuses, et plus les probabilités de migraine augmentaient.

Fait intéressant, la probabilité de migraine est plus de trois fois supérieure chez les hommes qui ont dit avoir vécu les trois types d’adversité en comparaison avec les hommes qui n’en ont vécu aucune. Chez les femmes, cette probabilité est supérieure de plus de deux fois. Malheureusement, cette étude ne tenait pas compte des personnes non binaires.

Comment savoir si vous avez vécu des ENE?

Les expériences négatives durant l’enfance sont une étiquette générale qui évoque de nombreux types d’expériences, mais il ne s’agit pas toujours d’ENE à proprement parler. Certains termes courants, comme le traumatisme et le stress toxique, portent sur des réalités différentes des expériences de la petite enfance susceptibles d’être intégrées biologiquement à des périodes critiques du développement et de mener à des problèmes de santé mentale ou physique tout au long de la vie.

Avec un soutien adéquat, la plupart des enfants peuvent se remettre d’expériences négatives comme le harcèlement, la très grande pauvreté, la discrimination, un accident ou des blessures graves, la séparation ou le divorce des parents ou encore la violence dans la communauté.

Il peut être difficile de déterminer si vous avez été victime d’ENE ou si vous provenez d’une famille légèrement dysfonctionnelle autrement qu’en abordant la question auprès d’un·e thérapeute spécialisé·e. Cela dit, vous pouvez commencer à réfléchir à la question en répondant aux questionnaires sur la négligence affective et la violence sexuelle publiés sur PsychCentral. Selon PsychCentral, si vous soupçonnez que vous avez été victime de violence sexuelle, vous avez probablement été victime d’ENE.

La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez trouver de l’aide. Les thérapeutes ne sont pas toujours au fait de l’état de la recherche sur les ENE et la migraine, mais bon nombre d’intervenant·es sont susceptibles de connaître des ouvrages populaires, comme Le corps n’oublie rien, qui se penche sur le rôle du traumatisme dans l’apparition de symptômes physiques et de maladies.

Les ENE peuvent affecter votre santé mentale et physique

Les traumatismes de l’enfance, y compris les ENE, peuvent surstimuler le système de réponse au stress d’un·e enfant et éventuellement affaiblir son corps et son cerveau. L’activation prolongée du système de réponse au stress peut perturber le développement de l’architecture du cerveau et d’autres organes, ce qui peut augmenter le risque de maladie reliée au stress et de troubles cognitifs à l’âge adulte.

Les abus de substance, les troubles de santé mentale et les problèmes de santé chroniques chez l’adulte peuvent tous découler d’ENE et sont accolés aux principales causes de décès et de morbidité dans la population adulte.

Plusieurs facteurs entrent en jeu sur l’éventualité que la réponse au stress chez l’enfant prenne une dimension toxique et se traduise par de graves problèmes de santé physique et mentale à l’âge adulte. En voici quelques-uns :

  • Le profil biologique de l’enfant, y compris toute prédisposition génétique ou tout événement durant la grossesse susceptible d’entraîner des problèmes cognitifs
  • Le type d’adversité vécue
  • La durée de l’adversité
  • Le stade de développement de l’enfant au moment de l’exposition aux épisodes d’adversité
  • Le nombre d’épisodes vécus
  • Les caractéristiques ou le contexte des épisodes d’adversité
  • Une malnutrition concomitante ou une exposition à des produits toxiques dans l’environnement

Prévention et intervention

La prévention des ENE peut offrir une protection contre les maladies chroniques, la dépression, les comportements présentant des risques pour la santé et les données socioéconomiques défavorables à l’âge adulte. Les effets à long terme des ENE sur la santé physique et mentale sont de plus en plus manifestes. Il est grand temps d’agir, car il en va de l’avenir des enfants touché·es.

Parlez-en à votre médecin

Si vous soupçonnez que votre migraine puisse être reliée à des ENE, parlez-en à votre médecin spécialiste en céphalées et demandez une consultation avec un·e thérapeute spécialisé·e ou un·e psychologue spécialiste de la douleur. Ces professionnel·les pourront vous aider à analyser vos expériences et à comprendre leurs liens avec votre état de santé.

Traitements contre les ENE

Un·e thérapeute pourrait vous proposer une approche comportementale comme une thérapie cognitivo-comportementale ou un traitement par rétroaction neurologique (le neurofeedback) pour lutter contre la migraine. D’autres traitements sont également possibles. En voici un aperçu.

Thérapie cognitivo-comportementale axée sur le traumatisme

La thérapie cognitivo-comportementale axée sur le traumatisme est un type de thérapie par la conversation qui cible les besoins en santé mentale des enfants, des adolescents et des familles aux prises avec les conséquences néfastes d’un traumatisme vécu dans la petite enfance.

Technique de libération émotionnelle

La technique de libération émotionnelle connue sous le nom EFT (Emotional Freedom Technique) est une méthode d’intervention corps-esprit qui consiste à stimuler par tapotement des points d’acupuncture sur les mains, le visage et le corps en focalisant sur un problème ou une émotion problématique. Certaines personnes l’utilisent pour calmer leur anxiété ou les aider à composer avec des émotions ou des pensées embrouillées. La méthode permettrait de réduire l’intensité des émotions déplaisantes en désamorçant les blocages dans les circuits énergétiques.

Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires

L’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR, de l’acronyme anglais) est une technique qui mise sur des stimulations induites par des mouvements des yeux pour favoriser un recodage des souvenirs douloureux. L’objectif de l’EMDR est de soutenir la guérison d’un traumatisme ou d’autres expériences de vie pénibles. Une étude a démontré qu’un tel traitement peut être une option viable pour composer avec la migraine chronique et des maux de tête quotidiens. Les auteur·es ont constaté une diminution de la fréquence et de l’intensité des maux de tête, du recours aux antidouleurs de même que des séjours en salle d’urgence après un traitement EMDR. Les patient·es pourraient donc présenter moins d’épisodes de maux de tête et disposer de meilleurs moyens d’atténuation après un tel traitement.

L’efficacité de toutes ces techniques pour aider les gens aux prises avec la migraine est soutenue par la recherche, à divers degrés, surtout dans le cas des thérapies cognitivo-comportementales chez les enfants et les adultes.

Par ailleurs, votre thérapeute pourrait aussi proposer d’autres moyens de composer avec un traumatisme de l’enfance ayant des conséquences sur vos relations, votre identité ou vos maux de tête à l’âge adulte.

Dans sa présentation au Migraine World Summit de 2016, Dawn C. Buse, docteure et professeure clinicienne en neurologie au Albert Einstein College of Medicine, a abordé le rôle des approches comportementales dans le traitement de la migraine et des répercussions des mauvais traitements subis dans l’enfance.

« Nous savons, car la recherche le démontre, qu’il est possible de compter sur une amélioration substantielle en entraînant le système nerveux (avec des approches comportementales) et en établissant un mode de vie sain, peu importe qu’il y ait médication ou non. Nous souhaitons apprendre à modifier nos schémas de pensée, à nourrir l’espoir et l’optimisme et à favoriser un sentiment de contrôle. Ce sont les orientations sur lesquelles nous concentrons nos efforts dans les thérapies cognitivo-comportementales déployées contre la migraine. »

Les ENE peuvent-elles avoir une incidence sur la réponse au traitement?

Les préoccupations, la peur et les autres symptômes anxiogènes peuvent tous figurer dans le spectre de la migraine. Une anxiété ou une dépression non traitée ou traitée en surface contribue souvent à une augmentation de la fréquence des épisodes de migraine. Une telle situation peut en outre réduire l’efficacité des traitements contre la maladie. Pourtant, bon nombre de patient·es ne sont pas au fait du lien entre la migraine et les expériences négatives durant l’enfance ou éprouvent de la gêne ou de l’inconfort à aborder le sujet avec le personnel soignant.

Si vous avez essayé de nombreux traitements et médicaments, mais que rien ne fonctionne, il pourrait être utile de sonder le rôle possible d’un état anxieux ou dépressif ou d’un traumatisme du passé. Cette démarche pourrait avoir un grand impact sur la qualité de votre réponse au traitement contre la migraine.

Dernières réflexions

Les expériences négatives durant l’enfance sont associées à un risque accru de maux de tête fréquents et de troubles connexes, en particulier la migraine. Un·e patient·e présentant un historique de stress en début de vie ou d’ENE peut modifier le cours de la maladie en mobilisant une approche multidisciplinaire du traitement de la migraine et en travaillant avec un·e thérapeute dûment formé·e sur l’incidence des traumatismes.

Si vous avez fait l’objet d’ENE, Dre Tietjen souhaite vous rappeler que vous n’êtes pas seul·e. Elle vous sert d’ailleurs cet encouragement : « N’hésitez pas à en parler avec un·e professionnel·le de la santé, car il ou elle pourrait vous aider à prendre la voie de la guérison. »

Cet article a été traduit de l’anglais avec l’aimable autorisation de Migraine Again et ne peut être copié ni reproduit sans son autorisation écrite. Voici l’article original. 

 

 


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