Tenir le cap

Par Sylvie Hill • Le 9 mars 2021


Miser sur l’inconstance, la seule constante avec la migraine

Vrai ou faux : la migraine torpille vos efforts de constance dans votre vie, vos amours et votre travail.

Si vous avez répondu « faux », j’aimerais bien connaître les médicaments prodigieux que vous avez découverts! Et je sais qu’il en existe. Quant aux migraineux qui n’ont pas trouvé de solution pour éradiquer toutes leurs crises, attendez-vous à ce que les hauts et les bas se poursuivent.

Si vos pensées sont tournées vers une personne (ami·e, amant·e, collègue ou membre de la famille) qui ne peut vivre un mois complet sans devoir annuler un plan, modifier son horaire de travail un jour ou deux ou déléguer une responsabilité en raison des effets invalidants de maux de tête fulgurants, eh bien, je vous témoigne ma reconnaissance. Vous comprenez véritablement notre réalité. Si vous êtes vous-même aux prises avec la migraine, pouvez-vous me dire si nous pourrons un jour aborder la vie sans qu’elle soit constamment interrompue par des épisodes de crise?

« La constance est contraire à la nature, contraire à la vie. Les seules personnes qui affichent une constance pleine et entière sont les morts », a écrit Aldous Huxley.

Voilà un point de vue utile, surtout à la lumière des exigences découlant de la pandémie et de la société moderne en général. La seule constance dans une vie avec la migraine, c’est que notre cerveau produira d’autres crises de migraine. Ces crises peuvent être voilées ou sourdes, atténuées ou évitées par miracle, mais elles sont bel et bien en nous.

« Constance » n’est pas du vocabulaire de bon nombre de migraineux

Certains types d’objectifs ont toujours été problématiques pour moi : respecter l’horaire régulier d’une activité sportive en équipe, planifier des engagements pour offrir de mon temps ou conserver mes journées de maladie uniquement pour les mauvais rhumes. Une crise de migraine dure de 4 à 72 heures. Les miennes sont plutôt sur le côté long du spectre. Dans la vingtaine, je vivais une phase préliminaire d’énergie euphorisante qui précédait un « écrasement », marqué par un violent épisode de migraine. En vieillissant, cette phase est devenue moins intense, mais j’ai appris à me tenir loin des médias sociaux lorsque mes publications émotives me permettent aisément d’entrevoir la venue d’une migraine menstruelle. C’est avec le corps léthargique et un brouillard mental frustrant que j’émerge de la douleur (grâce aux triptans, au repos, à l’acupuncture, à la méditation, à un usage continu de vitamines B, de magnésium, d’Advil et d’infusions de curcuma et à une bonne dose d’amour).

Ce schéma, celui d’une migraineuse inconstante dans la sphère sociale, me colle à la peau. Certaines personnes composent avec cette réalité en cachant tant bien que mal leur inconfort pendant des années, sans en parler à personne. D’autres, probablement, évitent simplement toute socialisation. La migraine m’impose un retrait forcé et frustrant de la société, c’est pourquoi je me refuse par éthique personnelle à m’en servir comme excuse. Jamais je n’ai prétexté une migraine pour me désister de quoi que ce soit.

Les gens peuvent facilement penser que nous feignons à l’occasion. « Tu allais bien il y a une heure à peine! », diront-ils, sans savoir ce qu’est un cerveau sous agression ou une médication à base de triptans.

Pour gérer cette perception de jouer à la girouette, les migraineux doivent accepter l’inévitable : perdre de l’argent pour avoir planifié un événement de façon un peu ambitieuse en période de turbulence migraineuse; devoir expliquer encore et encore que les crises vont et viennent; risquer d’en faire trop après un retour au travail, afin de compenser de présumés dérangements imposés au patron, à des collègues ou à des clients.

J’ai essayé de normaliser mon activité hormonale en recourant à un dispositif intra-utérin à base de lévonorgestrel ou progestérone. L’objectif était d’enrayer mes migraines hormonales, mais les effets secondaires périlleux de ce traitement pharmacologique se sont avérés pires que la migraine! Cette tentative de normaliser ma santé a été mortelle, littéralement.

Ce qui a aidé…

Des patrons compatissants, créatifs et humains

Au milieu des années 2000, après avoir décroché un emploi, j’ai dit à ma patronne : « Je souffre de migraines, ce qui signifie que mon énergie n’est pas constante tout au long du mois. » Sa réponse témoignait d’une bienveillance réelle : « Personne n’a une énergie constante. » Elle avait la grandeur de reconnaître que tout le monde est plus productif à certains moments qu’à d’autres. Un autre patron m’a suggéré de travailler quelques heures de plus lorsque tout allait bien. Il m’a dit : « Compte tes heures : tu les accumules en prévision de la maladie, et nous continuons à compter sur ton travail. Si tu as besoin d’un arrêt pour une journée, c’est possible. Pas de souci, pas de culpabilité. » Il avait compris.

Des mots codés pour la famille et les amis

Entre amis et êtres chers, un échange de mots codés peut permettre d’éviter l’épuisante routine de sensibilisation sur la récurrence de la maladie. Simplement renommer la migraine en un mot drôle peut détendre l’atmosphère! Et lorsque l’envoi d’un message précipité prend une opacité hiéroglyphique, plutôt que de lancer une accusation, une réponse bien intentionnée comme « tu me manques » peut devenir un code pour indiquer que l’on comprend une situation de vie difficile, en plus de laisser une porte entrouverte pour une reprise de contact.

Un peu de philosophie

Krishnamurti a dit : « Une bonne adaptation à une société profondément malade n’est pas un indicateur de santé. » Si notre groupe social s’attend à ce que nous soyons toujours à cent pour cent et que nous faisions fi de notre corps pour entrer dans le moule, nous devons alors questionner notre appartenance à ce groupe en tant que migraineux.

La « montagne russe » est une image qui a mauvaise presse. Pourtant, elle peut tout à fait convenir à ce que ressentent certains migraineux. Dans mon cas, c’est un parcours plaisant et plutôt régulier dans un monde de découvertes, avec des arrêts aux puits bien orchestrés pour recharger mes batteries et en comptant sur les bons copilotes pour rendre le tout plus tolérable encore.


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