Se perdre

Par Maryse Loranger • Le 26 octobre 2023


Dernièrement, j’ai vécu l’expérience de me perdre dans une forêt à la tombée de la nuit. Il se trouve que c’est une très belle forêt de jour, balisée par de la peinture couleur bleu ciel et un peu de blanc sur le tronc des arbres guidant la voie jusque dans ses hauteurs et ses profondeurs. Mais l’obscurité arrive vite en automne. Et on ne se rend pas toujours compte du temps qui semble s’écouler tout aussi rapidement. Pourtant, perdue en forêt, le noir de la nuit enveloppant chaque tronc, les marques initialement peintes en bleu s’étant tout à coup complètement effacées avec la luminosité d’une nuit d’encre, je n’ai pas senti la migraine me prendre. 

Je n’ai pas senti la peur. Tout m’a semblé si irréel. Moi qui connais si bien les règles des promenades en forêt. Mais si j’ose dire, j’ai eu ce sentiment teinté de confiance en la vie et de résilience qu’il n’y avait que peu d’options si je ne sortais pas du bois. Et c’était juste ironique que ma finalité prenne place dans une forêt. Je me suis souhaité cette fin si souvent. Cette fermeture de rideau sur le théâtre de ma vie. De tout mon cœur. Chaque fois que la douleur reprenait après seulement deux heures de répit dans les 24 heures pour reprendre et reprendre, jour après jour, mois après mois. À chaque période de sevrage de médicament qui m’arrachait l’âme tellement les symptômes étaient criants et douloureux. À chaque fois que les assureurs me harcelaient pour me menacer de couper mes prestations puisque pour eux, la migraine, ce n’est pas une maladie reconnue. À chaque évaluation physique et psychologique pour prouver que ma maladie m’invalidait vraiment et que je n’étais pas un imposteur. Chaque fois que quelqu’un me disait que j’avais l’air bien alors que tout ce que je vivais n’était que de la souffrance sous toutes ses formes. Mais ça, il n’y avait que moi, seule dans mon corps pour le savoir. Et j’étais si démunie que j’en devenais muette, épuisée de justifier et d’expliquer à ceux et celles qui prennent leur santé pour acquis, ce que moi je vivais réellement.

D’ailleurs, je ressens encore cet épuisement moral lorsque quelqu’un ose remettre en doute mes conditions. J’ai très envie de leur dire leurs quatre vérités. OK, ce n’est pas très chic et ça ne changerait rien de rien. On ne peut pas faire grand-chose contre les commérages et la médisance. On ne peut que s’en éloigner et reconnaître que ces individu·es sont plus handicapé·es que nous. L’ignorance est un vrai handicap. Cela bloque l’accès à la compassion et à la bienveillance. Mais bon, c’est un sujet pour mon prochain blogue.

À la maison

Oui, je l’ai souhaité cette finalité. Et voilà que l’univers, une force supérieure, la vie ou peu importe comment vous voulez l’appeler, me donne cette lunette vers un monde de possibles. Et qu’y ai-je trouvé? Il ne pouvait s’y trouver que l’amour de la vie que j’ai menée jusqu’ici avec ses hauts et ses bas. Que la reconnaissance de mes actions envers les autres comme étant des actes de foi pour transmettre ma passion, ma joie de vivre, mes débordements d’amour envers eux, pour eux. Que mes besoins ne seraient plus importants, car maintenant et à tout jamais superflus. Que la vie ne peut être profitable que lorsqu’on la vit avec ce que l’on a à offrir au monde de mieux selon nos possibilités, nos capacités et nos meilleures intentions. Que tout le reste n’a aucune importance. Seul le moment présent l’est. Et c’est dans ce moment précis entre la certitude et l’incertitude, entre la prison et la liberté, entre la noirceur et la lumière, que l’on se découvre au plus profond de nous-mêmes. Que l’on sait ce qui est acceptable et ce qui est inévitable. 

Me blottir au pied d’un arbre et me couvrir de feuilles en attendant l’aube serait peut-être un coup de dé entre la vie et la mort, mais certainement la plus belle façon de communier avec ce qui m’a réellement toujours aidée à vivre et à survivre aux crises de migraine incessantes, aux nombreux deuils, à tous les préjugés et à mon désarroi.

À ce moment, en cet endroit, toutes mes peurs se sont effondrées, mes insécurités évanouies, et malgré ma vue embrouillée dans le noir, mes lunettes embuées (quelle idée de porter des lunettes pour aller se balader en forêt!), mes pas très hésitants contre un sol inégal jonché de branchages, de roches et de trous, je me suis enfin sentie à ma place. J’étais à la maison. Mais ça, je l’ai toujours su.

N.B.

J’en suis sortie. Cette aventure m’aura éclairé sur ce qui est essentiel pour moi et sur ce que je peux laisser partir maintenant sans regret. J’ai vécu cette expérience avec un ami qui nous a gracieusement sortis du bois. Il a vu une faible lumière dans la forêt donnant l’impression de l’emplacement d’un chemin forestier. Comme on dit, tous les chemins mènent à Rome! Finalement, c’était la piste de motoneige qui nous a menés à la route pavée non loin de là. On peut définitivement se perdre…tout près. 

Nous avons vécu ces heures dans la forêt de façon différente sans doute, mais tout aussi forte de sens. Comme quoi, nous sommes tous et toutes des êtres uniques aux possibilités insoupçonnées, de lumière et d’espoir. 

La réflexion qui m’est apparue lorsque nous avons enfin retrouvé notre chemin, des vêtements secs et la chaleur du foyer, est qu’il n’en faut pas gros pour être heureux·se. Seuls une lueur, une éclaircie, un espoir sont suffisants pour se sortir de la noirceur et vivre une reconnaissance profonde et vraie pour la seule opportunité de poursuivre notre chemin. Et tous et toutes à notre façon, nous contribuons au processus de croissance de l’autre. Il s’agit de scruter l’obscurité pour en voir la lueur et la suivre avec confiance. 

Ceci m’amène à cette autre réflexion qui sera mon prochain sujet de blogue. Nous pouvons beaucoup nous apporter et nous enseigner à grandir toujours plus en tant qu’être humain, peu importe nos conditions de vie. 

Je répète.

Peu importe nos conditions de vie. 

Prenez soin de vous,

Maryse Loranger


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2 Commentaires
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Davalan
Davalan
il y a 3 mois

Votre texte et votre aventure me touche c’est si beau je partage avec vous cet espoir ! Merci à ce réseau migraine Québec que je consulte lorsque j’ai une crise comme pour lui dire « tu vois tu ne fais pas le poids j’ai des amis dans cette aventure ! « Lena, France😉🥰