Par Marie-Eve Branconnier
Je suis enceinte. J’ai beau ne pas vouloir y croire, me recroqueviller dans le déni le plus profond, tout faire pour m’empêcher d’y penser, je le sais. Au fond de moi je le sens. Et je ne suis pas prête à l’accepter. Ce n’était pas prévu, on n’essayait pas d’avoir d’enfants, pas tout de suite en tout cas, je ne suis pas encore prête, comment cela a pu m’arriver?
J’ai peur de tout!
J’ai peur de souffrir pendant 9 mois, que mes migraines empirent, de ne pas pouvoir me soulager, les Tylenols, ça fait autant d’effet qu’un peu d’air frais! J’ai peur de l’accouchement, de vivre cette épreuve physique et mentale en migraine, d’avoir plus mal que la normale, car je suis hypersensible.
J’ai peur d’être mère, et de tout ce qui vient avec, mais surtout d’être une mère en migraine, semi-présente pour son enfant. J’ai peur de regretter, de trouver ça trop difficile, de vivre une dépression post-partum, d’en venir à « shaker » mon bébé. Que le manque de sommeil aggrave ma condition, d’être en migraine 24/7, de n’avoir aucun beau moment avec ma progéniture. D’être incapable de m’occuper et de mon bébé et de moi en même temps, que la maternité devienne un fardeau trop lourd à porter pour mon chum, qui devra compenser mes lacunes. J’ai peur de la culpabilité qui viendra avec tout ça.
Je ne peux simplement pas y croire.
Je suis dans un chalet pour le temps des fêtes, avec ma famille rapprochée, mes proches les plus précieux, ma bulle où je suis la plus en sécurité et je vis ça toute seule.
Par choix
Ça fait une semaine et demie que je suis en retard, mes seins brûlent au toucher, les nausées matinales ont même débuté et j’arrive à me convaincre que je suis simplement irrégulière ce mois-ci, que la douleur aux seins, c’est normal avant d’avoir ses règles et que c’est le trop plein de bouffe du temps des fêtes qui me retourne l’estomac. Je ne peux en parler à personne, parce que si je le fais, je vais devoir sortir de mon illusion réconfortante. Si j’en parle, ça devient vrai, si j’en parle, je ne pourrai plus l’ignorer, parce que je le sais que je suis enceinte, j’en suis certaine.
Ce qui a paru une éternité plus tard, après deux nuits blanches consécutives à retourner le problème de tout bord tout côté, à essayer d’accepter, à me préparer au choc de la fatidique barre rose pâle que je verrai dans mon futur rapproché, j’en parle à mon chum.
« Bébé, je pense que je suis enceinte et je capote, ça fait 1 semaine que je m’en doute et 2 nuits que je ne dors plus, ça me rattrape, j’arrive plus à l’ignorer. »
S’en suivent les « pourquoi tu m’en as pas parlé avant? », « es-tu certaine? », « comment tu te sens? », « veux-tu que j’aille acheter un test tout de suite? ». Pour finir par un « tu sais, si tu veux te faire avorter, je vais être derrière ta décision ».
Sauf que c’est con comme décision, je le sais que ça ne fait pas de sens, il le sait lui aussi. On a dépassé les 30 ans, on en parlait d’en avoir des enfants, c’était un projet pour l’année prochaine ou la suivante, on ne va pas risquer les conséquences d’un avortement pour 1 an ou 2.
Ce n’est pas comme si je n’en voulais pas, je le sais que j’en veux, je ne pensais juste pas que ça allait m’arriver tout de suite, je ne suis pas prête. Et oui, c’est cliché dire que je ne suis pas prête, tout le monde va me répondre « personne n’est réellement prêt » ou « il n’y a jamais de bon moment ». Sauf que mon cœur, mon esprit, ma santé ne sont pas rendus là, j’ai enfin un traitement de fond qui fonctionne bien, que je devrai arrêter, j’arrive à peine à mieux contrôler mes migraines et BAM! De toute façon, je n’ai pas à me justifier.
Reste que même si l’avortement ce n’est pas une option, pas pour moi, pas dans ce contexte-là du moins, je suis tellement reconnaissante de mon chum de m’avoir dit ça. Même si je le sais qu’au fond de lui, il espère fort fort fort que je ne dise pas oui à ça, il ne m’aura jamais autant mis en premier que ce jour-là. Il a hâte de devenir papa lui, il est rendu là, il voit ses ami·es avoir des enfants et ça le rend fébrile, rempli d’excitation, pas terrifié et rempli d’appréhension, comme moi. Mais il respecte mon rythme, il l’a toujours respecté.
C’est donc à prédire que de se faire annoncer que je crois être enceinte est pour lui une nouvelle joyeuse plus que malheureuse. Toutefois, il cache sa joie, et bien à part de ça. Je le devine qu’il en est heureux, mais il ne se laisse pas vivre ses émotions positives afin de m’épargner, pour éviter que je me sente coupable d’être, de mon côté, négative.
Il faut savoir que mon chemin vers la maternité dure depuis un moment. Dès mes 30 ans, j’ai commencé à me questionner. Est-ce que j’en veux vraiment des enfants? L’horloge biologique n’ayant jamais sonné. J’ai fait la réalisation que j’en voulais, mais que la migraine m’en faisait douter, beaucoup! J’en ai parlé à mes médecins, à mon entourage, j’ai même commencé à aller voir une psy. Je suis de nature tellement positive normalement, je cherchais des outils pour l’être devant la possible maternité, apaiser ma peur, j’étais proactive.
Le souci, c’est que j’ai 31 ans et que j’ai seulement eu 2 rendez-vous avec ma psy avant de tomber enceinte. C’est long se trouver un suivi psychologique, surtout post-pandémie! Dans ma tête, j’avais devant moi 1 an ou 2 pour régler mes bobos internes et pour peut-être même avoir hâte d’avoir un enfant, qui sait! Pas 3 secondes et quart.
Mais la vie en a décidé autrement, mon petit bébé a décidé que c’était là que ça se passait, qu’il ne voulait plus attendre et que malgré des circonstances improbables de procréation, il arrivait.
Après avoir dit à mon chum « il nous reste juste une journée au chalet, je ne veux pas la gâcher avec ça, on fera un test en revenant à la maison », on garde le secret pour nous et on fait un peu comme si de rien n’était, on n’en parle plus.
De retour au bercail, premier arrêt, la pharmacie, ensuite direction pipi. À ce stade, si le test ressort négatif, je n’y croirais pas, ça serait une maudite belle surprise, mais il est superflu ce test, je suis enceinte, aucun doute. Évidemment, même pas eu besoin d’attendre le 2 minutes prescrit, en ressortant le test de la cuvette, je vois la ligne. Elle est bien présente, comme le fœtus qui se forme en moi au même moment. Je crache un « tabarnak, même pas de suspense ». Ce n’est pas le beau moment doux et romantique auquel on aspire, mettons. Plus un « bien oui, je le savais, now what? »
Je suis incapable d’en être heureuse, pour m’empêcher de sombrer dans la panique je décide d’informer mes parents et ma sœur sur le champ. Je leur ai caché pendant plus d’une semaine, j’ai envie d’avoir leur soutien rétroactif, que je me suis empêchée d’avoir au chalet. Et surtout, eux, ils seront contents d’apprendre que je suis enceinte, et j’ai un besoin viscéral de siphonner la joie des autres face à cette nouvelle. Je n’en produis pas de la joie, moi, je suis une machine à frousse en ce moment, un trou noir qui a besoin d’un peu de lumière pour retrouver son chemin.
Tout le monde est content, mes parents en pleurent quasiment, ils avaient hâte de devenir grands-parents. Quand ils nous demandent si nous on l’est (ils le savent que ce n’était pas prévu), mon chum, tel un chevalier secourant sa belle, prend la balle au bond « on est un peu sous le choc et en mode panique ». Le « on » ici veut dire MOI, Marie-Eve Branconnier est sous le choc et en mode panique, je ne sais pas ce qu’il ressent exactement à ce moment-là, ça doit le stresser un brin quand même, mais je sais qu’il prend mes émotions comme les siennes et là je le vois encore plus comment on est une équipe et comment il sera là pour moi. Ça me rassure énormément.
Le soir même, dans un effort anti-égocentrique, je lui dis « t’as le droit d’être heureux que je sois enceinte, hein bébé, empêche-toi pas pour moi, je suis contente si t’en es heureux » et il m’avoue qu’il ne se laissait pas aller à la joie pour ne pas me culpabiliser, pour ne pas en rajouter une couche sur mes épaules. Énième preuve que j’ai choisi le bon.
Bref, je suis enceinte, je ne sais pas à quoi m’attendre, tout ce que je sais c’est que toutes les facettes de ma personne craignent de souffrir énormément.
…
Je suis dorénavant à 32 semaines de grossesse.
Me replonger dans ces émotions est une tâche assez fastidieuse, tout en étant libératrice à la fois, j’en pleure sans retenue. Il faut dire que je suis hormonale, rien de surprenant là-dedans. Surtout que, je suis à des années-lumière de l’état d’esprit dans lequel j’étais à ce moment-là, il y a de cela une bedaine et des petits coups internes constants en moins.
La grossesse m’a fait un cadeau tellement précieux, j’ai gagné à la loterie la plus chanceuse, mes migraines sont presque disparues. Je suis passé d’environ 15-18 jours de migraine à intensité 6-8/10 à 2-3 jours à intensité 3-4/10 par mois. De la pure magie. Je ne pourrais exprimer ma gratitude, je remercie mon bébé à naître tous les jours.
Je sais que je suis immensément chanceuse. Je sais que ce n’est pas le cas pour toutes les femmes qui sont aux prises avec la migraine, je sais que ce n’est pas toutes les grossesses qui sont ainsi. Je savoure chaque seconde libre de douleur qui m’est donnée, reconnaissante comme c’est peu dire.
Et je réalise plus que jamais à quel point la migraine mine ma vie. Une grossesse joue nécessairement sur le niveau d’énergie d’une femme, elle construit un humain, c’est bien normal.
Malgré tout, durant ces 32 semaines, je n’aurais jamais eu autant d’énergie de toute ma vie.
Évidemment, j’ai eu mon lot de symptômes désagréables, mais même les pires ne sont absolument rien à côté d’une migraine.
On me dit souvent depuis le début de ma gestation de prendre du repos, de ménager mon corps, de ne pas trop en faire. Les gens ne comprennent pas qu’outre faire attention pour protéger le bébé, je veux vivre! Je me sens comme si j’avais été en hibernation depuis 31 ans et qu’enfin je ressors de mon trou et c’est le printemps. De toute façon, je ne ressens aucun besoin de repos supplémentaire, j’ai enfin de l’énergie. Et ceux qui savent, savent, quand tu vis avec la migraine depuis aussi longtemps, ton corps, tu sais comment bien l’écouter, tu ne te pousseras jamais trop, le présage d’une migraine reste toujours bien présent à l’esprit.
Le APRÈS accouchement reste inquiétant, j’attends patiemment le retour de ma pire ennemie qui viendra se mêler à mon rôle de nouvelle maman. Je suis optimiste, j’ai reçu un miracle, il pourrait continuer, mais je suis aussi réaliste. Je vis chaque jour comme si c’était le dernier, littéralement.
J’ai nécessairement encore peur du après, avec toutefois tellement plus de courage qu’avant. Je suis maintenant fébrile et rempli d’excitation, j’ai rejoint mon chum dans les émotions positives, même si l’ombre du négatif n’est jamais bien loin, je suis sorti de la torpeur.
On ne peut pas dire que j’ai spécialement hâte de rencontrer mon bébé, pour vous dire la vérité, je n’ai pas hâte, j’ai l’impression d’être sur du temps sans douleur emprunté. C’est avec un sentiment doux-amer que j’attends son arrivée, je sais qu’il s’en vient et j’en suis aujourd’hui bien heureuse, mais l’appréhension n’est pas tout à fait disparue.
Je peux toutefois dire que j’ai hâte de pouvoir le remercier face à face pour ces 9 mois remplis de douceur et de liberté.
Merci, mon petit bébé, maman et papa t’attendent, mais pas trop vite, ok?